BpiFrance publie une enquête sur la situation du tissu industriel français face à l'effort de défense invoqué par les autorités politiques. Derrière les grands donneurs d'ordre et mastodontes du secteur, les dirigeants des PME et ETI ne cachent pas leur intérêt, mais la question du partage de la valeur se pose, ainsi que celle des commandes fermes qui peinent à arriver malgré les déclarations.

Un employé sur un site de KNDS, à la Chapelle-Saint-Ursin (illustration) ( AFP / JEAN-FRANCOIS MONIER )
La réindustrialisation autour des questions militaires a capté l'attention des entreprises françaises. Selon une enquête publiée mercredi 8 octobre par BpiFrance, 43% des entreprises extérieures à la défense souhaitent s’y développer . Ces intentions sont portées soit par une opportunité de développement (dans le cas d'une bonne santé financière qui donne des perspectives de croissance), soit par contrainte (secteur automobile, métallurgie, chimie...), précise l'étude, menée auprès de 1.700 dirigeants durant l'été 2024. Cette enquête est publiée par Bpifrance Le Lab, qui se présente comme le laboratoire d'idées des PME-ETI" de Bpifrance, moins d'une semaine avant la présentation le 14 octobre du fonds Défense de la banque publique d'investissement.
Face aux besoins, la production de défense va devoir augmenter de 31 milliards d'euros d'ici 2030
L'institution a dressé les ordres de grandeur de cet effort de défense, qui suppose une montée en charge progressive de la production, qui devrait augmenter de 31 milliards d'euros à 84 milliards d'euros en 2030, contre 53 milliards en 2025, pour répondre aux besoins des forces françaises et de l'export.
Ces chiffres impliquent une croissance de 7,6 % par an du chiffre d’affaires dans la défense. "C'est plus que la croissance de la production des entreprises industrielles de défense depuis la guerre en Ukraine (5,5%) et que la croissance projetée des entreprises" opérant dans la défense du panel Bpifrance Le Lab (3%), indique Bpifrance Le Lab dans un communiqué . Il évalue ainsi à 15 milliards d'euros le besoin de financement pour y parvenir, "dont 5 milliards d'euros de fonds propres et 10 milliards d'euros de dettes". Les besoins de production augmenteraient ensuite jusqu'à 117 milliards d'euros en 2035. Destiné aux particuliers, le fonds Défense de Bpifrance avait été annoncé en mars avec l'objectif de collecter 450 millions d'euros.
"Logique de prédation" des mastodontes du secteur, les trésoreries des sous-traitants en souffrance
Les PME et ETI les plus stratégiques de la défense (assimilées au "coeur défense" ou à la base industrielle et technologique de défense) font cependant état de difficultés susceptibles de freiner la montée en cadence nécessaire. Par exemple des difficultés de trésorerie (37%), d'obtention de prêts bancaires (25%) ou de levée de fonds (20%), une pression excessive sur les prix et marges (29%) ou des capacités de production déjà utilisées à au moins 80% (48%) . La tendance est ainsi particulièrement marquée chez les sous-traitants, bien moins lotis que les grands donneurs d'ordres comme Safran, Dassault, Airbus ou Thalès. "Pour réussir l’effort de défense, il faut sortir d’une logique de prédation pour construire une véritable filière 'win-win', où la valeur serait mieux partagée entre acteurs" , recommande BpiFrance.
Plusieurs dirigeants d'entreprise expliquent ainsi être en "surcapacité de production", sans que les commandes ne suivent faute de décisions politiques ou de nouvelles lignes de budget. "Peu d'entreprises en voient les effets dans leurs usines. Il y a plus d'annonces et des projets, c'est vrai, mais ça ne se traduit pas trop sur le terrain", note ainsi la directrice générale de Redex, spécialisée dans la fourniture de solutions de haute technologie, dans les colonnes des Echos.
"L'argent public ne ruisselle pas"
"Sur le terrain, le niveau d'activité est très variable, en fonction des clients et des niveaux de sous-traitance", estime pour sa part Thierry Regond, dirigeant du cluster Eden, qui regroupe quelque 200 sous-traitants de la défense, et vice-président de l'entreprise de maintenance aéronautique Sunaero. Jean-Luc Logel, dirigeant de Centralp, rapporte quant à lui que l'activité de son groupe, spécialisé dans les calculateurs embarqués, est tirée "par les exportations et pas encore par les achats de l'Etat français".
"Les PME qui travaillent dans cette filière accumulent les problèmes de trésorerie et de bilan car l'argent public ne ruisselle pas", finit de résumer le directeur Bpifrance, Nicolas Dufourcq.
Les pays européens ont fortement augmenté leurs dépenses militaires depuis l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, et celles-ci se sont encore accélérées après l'invasion de l'Ukraine lancée par le Kremlin en février 2022. Les pays de l'Otan ont aussi décidé d'accroître encore leurs efforts, en consacrant au moins 5% de leur PIB à leur sécurité au cours des dix prochaines années, dont 3,5% pour des dépenses strictement militaires. Pour atteindre cet objectif de 3,5%, le directeur de l'agence européenne de défense (EDA) avait estimé nécessaire en septembre de "redoubler d'efforts et dépenser au total plus de 630 milliards d'euros par an" dans l'UE.
L'étude de Bpifrance Le Lab a été menée auprès de 1.708 start-up, PME et ETI françaises dont 45% opèrent dans la défense (dont 25% qui sont les plus stratégiques du secteur) et 55% n'y sont pas présentes mais dont certaines souhaitent s'y développer.
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